Depuis quelques mois, vous l'avez constaté, les publicités automobiles ont changé: elles présentent essentiellement des voitures électriques. En fait c'est un engagement que les constructeurs ont pris pour arrêter la promotion des "véhicules polluants" au profit des véhicules plus vertueux pour l'environnement. Mais la transformation apportée par les voitures électriques ne se limite pas à ce changement de façade, c'est une disruption majeure sur bien des aspects de l'automobile. Tentative d'explication dans cet article.
En informatique comme dans d'autres métiers d'ingénierie, il y a un principe: faire les choses le plus simplement possible (K.I.S.S. Keep It Simple, Stupid). Et c'est l'une des premières disruption qu'apporte le véhicule électrique: la simplicité.
Car les véhicules actuels - on dit "thermiques" - s'appuient sur une technologie complexe: celle du moteur à explosion ! Concrètement c'est en récupérant l'énergie de l'explosion d'un liquide inflammable dans une chambre de combustion qu'on fait tourner les roues d'un véhicule thermique.
Ce processus qui a mis plus d'un siècle à se perfectionner est - il faut le reconnaître - d'une grande complexité: il implique l'admission d'air et sa compression, un mécanisme d'injection de carburant, l'allumage et la combustion du mélange, un circuit de refroidissement, un circuit d'évacuation des gaz d'échappement, … Et je ne parle pas de l'électronique qui aujourd'hui encadre ce processus pour en optimiser le fonctionnement et proposer des fonctionnalités comme la boite automatique ou le Start&Stop.
A la place, les véhicules électriques sont d'une incroyable simplicité: juste un moteur électrique qui s'appuie sur l'électromagnétisme pour transformer l'énergie fournie par une batterie en une énergie mécanique qui va faire tourner les roues. Pas d'explosion à maîtriser, pas de carburant à injecter, pas de refroidissement et d'élimination de gaz de combustions à gérer.
Au final, un véhicule électrique c'est 6 fois moins de pièces mécaniques et 60% de composants en moins qu'un véhicule thermique (Challenges). Ça c'est de la simplicité !
Mais cette simplicité à un coût économique. On parle de disruption quand un nouveau modèle bouscule le fonctionnement actuel: le véhicule électrique et sa simplicité sont une véritable disruption du marché global de l'automobile.
Car le monde de la production automobile c'est un écosystème de constructeurs et de fournisseurs et moins de complexité veut dire moins de pièces à produire. On estime que le basculement vers le véhicule électrique fera perdre 17% de la production (et donc du chiffre d'affaire) des constructeurs et 38% de la production des fournisseurs. Et ce n'est évidemment pas une bonne nouvelle pour l'emploi et donc pour l'économie des pays comme la France ou l'Allemagne qui ont un secteur automobile important: on parle de 20% d'emploi en moins soit prêt de 40,000 personnes en France !
Et la simplicité des véhicules ne pose pas problème que pour la production mais aussi pour la maintenance. Au-delà de l'entretien courant qui est plus simple (plus de vidange, niveau d'huile, liquide de refroidissement, …) moins de complexité veut dire aussi moins de maintenance et moins de pannes. Selon des professionnels, le volume d'intervention sur les véhicules électriques est moitié plus faible que sur les véhicules thermiques. Et les équipementiers imaginent une perte de chiffre d'affaire pouvant aller jusqu'à 30%. C'est donc tout l'écosystème autour des constructeurs (garagistes, concessionnaires, distribution de pièces détachées, …) et leur modèle de fonctionnement qui est impacté par les véhicules électriques.
Les véhicules thermiques font le plein à des stations services. Les véhicules électriques se rechargent sur des bornes ou éventuellement, si on n'est pas pressé, sur des prises électriques standards. Le circuit de distribution est donc clairement à réinventer. Et c'est un enjeu majeur car l'une des problématiques des véhicules électriques aujourd'hui est leur faible autonomie comparée aux véhicules thermiques.
La bonne nouvelle c'est qu'en moyenne un véhicule est en stationnement 95% du temps. Le paradigme des véhicules électriques c'est donc de ré imaginer la recharge: on ne charge pas le véhicule quand on a besoin de le faire, on la charge quand on ne l'utilise pas pour qu'il soit chargé quand on en a besoin.
Mais évidemment pour cela il faut qu'il y ait des prises de recharge dans les parkings, dans les entreprises, dans l'espace public et au domicile des gens. C'est loin d'être le cas aujourd'hui mais depuis mars 2021, la loi impose un pré-câblage pour les nouveaux logements résidentiels, entreprises et bâtiments rénovés. On peut donc espérer une amélioration prochaine du parc de recharge.
Pour les personnes effectuant des longs trajets, il faut aussi prévoir des points de recharge rapide. Là-dessus, même si ce n'est qu'un début, la concurrence commence à faire rage entre Ionity (porté par des constructeurs automobiles), TotalEnergies (qui se lance) et l'historique réseau de Tesla, jusqu'à présent limité aux véhicules du constructeurs mais qui s'ouvre progressivement à tous véhicules. Là aussi on peut donc s'attendre à une extension prochaine du parc de points de recharges rapides.
Enfin, cela pose la question de savoir si le réseau électrique est capable de gérer la demande supplémentaire d'électricité nécessaire à un parc important de véhicules électriques. S'il semble acquis qu'en France ce surplus de demande serait gérable (environ 6% d'augmentation de la demande globale d'ici 2035), la difficulté est de pouvoir gérer les pics de demande massifs à certains moments (le soir et la nuit). Cela nécessitera donc une certaine intelligence de la gestion de la charge.
Par nature, le véhicule électrique collecte des données pour gérer de manière optimale sa charge et la communiquer, au conducteur d'abord, mais aussi à l'infrastructure.
Mais au-delà de cette donnée de base, le véhicule électrique devient un véhicule connecté. Là où il fallait rajouter des boitiers (type OBD) sur les véhicules thermiques pour collecter et transmettre des données de navigation, la collecte de ces données est désormais intégrée aux véhicules électriques.
C'est le cas par exemple de Tesla qui collecte en permanence des données de consommation, de géolocalisation, de vitesse, kilométrage, pression des pneus, … mais aussi des données plus précises comme la position de la pédale d’accélérateur, l’angle du volant et l’utilisation des freins. Ces données sont utilisées par Tesla qui vient par exemple de lancer une offre d'assurance dont le prix s'adapte au comportement de conduite du conducteur. Mais ces données sont aussi accessibles via une API ce qui permet à des développeurs de proposer des services annexes.
On imagine ce que pourraient faire les constructeurs en terme de diagnostic, de maintenance, de prédictibilité des pannes et tout ce qu'il serait possible de faire avec les données en temps réel (ou à postériori) d'un ensemble de véhicules.
Dans les pays nordiques, la part de marché des véhicules électriques a déjà dépassé les 50%. En France la proportion de véhicules électriques dans le parc pourrait être de 50 à 70% à l'horizon 2035.
La migration vers les véhicules électriques est donc inéluctable. Elle se prépare d'ailleurs avec l'arrivée des véhicules hybrides rechargeables qui ne résolvent aucun problème mais qui permettent de gérer en douceur la transition des constructeurs et des consommateurs.
Mais comme nous venons de le voir, c'est une véritable révolution qui se prépare, à la fois angoissante - car elle va changer notre quotidienne - mais aussi pleine de promesses et d'opportunités dont le numérique sera la clé.
(Crédit image d'entête: © Stocklib / choochart choochaikupt)